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La Cordillère des Songes

NOTE DU RÉALISATEUR
 
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Quand j’ai terminé "Nostalgie de la lumière", un film qui montre le désert d’Atacama au Chili (European Academy Award 2010), j’avais annoncé que probablement cette œuvre serait le premier volet d’une trilogie. Cette ambition s’est poursuivie avec "Le Bouton de nacre", un voyage à travers les fjords gelés de la Patagonie (Ours d’argent, Berlin 2015), et je peux aujourd’hui affirmer qu’elle prendra fin avec La Cordillère des Andes.

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Dans ma tête circulent déjà les premières idées pour cette troisième partie, dont certains flashs effleurent mon imagination. Je suis conscient du risque que cela implique, mais je me sens en mesure de me lancer dans cette aventure qui se déroulera, en partie, au milieu des neiges éternelles des Andes. En contrepoint, il y aura cette discordance entre le Chili ancien et le Chili moderne. Elle continue de nourrir mon cerveau d’une intarissable source d’images qui tissent la représentation du devenir de l’homme.

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Au Chili, quand le soleil commence à se lever, ses rayons doivent escalader des milliers de mètres avant d’atteindre le sol car mon pays vit à l’ombre d’une muraille de 6000 m de haut. C’est une muraille naturelle qui protège et isole ses forêts, ses champs et ses villes. C’est un accident colossal qui définit l’idiosyncrasie de tout un peuple. Il détermine son comportement. Je suis marqué par son ombre, qui définit les traits de ma personne.

Comment est cette chaîne de montagnes en réalité ? Quelle est sa surface ? Peut-on calculer sa masse, sa densité ? Quelle quantité de matériaux recèlent ses massifs ? Combien de millions de tonnes de roche se trouvent dans ses entrailles ? Les oiseaux migrateurs peuvent-ils la traverser ? En réalité, c’est une chaîne de montagnes très ancienne, presque impénétrable. C’est une véritable Muraille de Chine de l’Amérique du Sud.

À quoi ressemblent ses habitants ? On dit que de petits groupes de paysans habitent à l’intérieur, notamment dans la région des Indiens Mapuche. Ils ont fui à jamais la civilisation. Ils vivent dans des refuges de pierre et ne parlent presque pas. Ils se méfient de tout le monde et connaissent des chemins de traverse secrets entre les cols.

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Parfois, les collines vibrent et produisent des bruits souterrains très forts qui remontent des entrailles de la Terre, sous les villes et même sous les lacs. Après la lointaine Indonésie, la cordillère des Andes comprend la deuxième zone volcanique la plus active du monde. Tout au long de ses crêtes se trouvent 2000 volcans, dont dix très actifs. Tous les cinq ans, en moyenne, l’un d’eux fait jaillir de la matière incandescente. L’éruption, telle une bombe atomique, forme un nuage colossal qui remonte jusqu’à la stratosphère et cache la lumière du soleil. Il est indispensable de déplacer des milliers de personnes, selon la quantité de cendre qui retombe. Seuls les condors et quelques hélicoptères peuvent observer ce spectacle inouï.

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Les plaques tectoniques en mouvement ont laissé à fleur de sol des minerais rares, des gisements inconnus de trésors uniques. Les grands investisseurs ont débloqué des fonds pour la recherche de graphite, de coltan, de lithium, mais aussi d’or et d’argent. Au fond de certains ravins, on a installé des chantiers gigantesques pour trouer des glaciers, perforer des grottes, percer des rochers millénaires, face à l’indifférence des autorités et le regard ahuri des paysans qui escaladent les montagnes avoisinantes. Sur certains sentiers reculés, on peut encore apercevoir de petits troupeaux de bovins qui avancent guidés par des bouviers semblant sortir tout droit de l’époque de Christophe Colomb et marchant pieds nus sur les collines de l’Altiplano que se partagent les quatre pays traversés par les Andes (le Chili, l’Argentine, le Pérou et la Bolivie). Ici se trouvent également les vestiges des anciens confins de l’Empire inca. Une contrée riche d’histoire et de mémoire. L’une des femmes recherchant des os humains dans Nostalgie de la lumière dit : « Il est possible que nos disparus se trouvent là, dans ces montagnes. »

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Récemment, parmi ces sommets sauvages, ont surgi des hôtels de luxe pour touristes millionnaires, qui ressemblent à des châteaux. Ces hommes richissimes parcourent les gorges gelées à bord d’hélicoptères qui frôlent les blanches parois de glace. Ils viennent de Santiago. À l’intérieur de ces établissements fastueux, à la cime du monde, on vit dans une abondance digne des Émirats arabes. Simultanément, en bas, dans les vallées, la plupart des Chiliens mènent stoïquement une vie de travail et de sacrifices. C’est un peuple accoutumé à affronter les tsunamis, les tremblements de terre et les nouveaux riches. Il s’est habitué à vivre dans un territoire comme l’Himalaya, retranché derrière un mur, protégé par l’Aconcagua, sommet de près de 8000 m se dressant plus haut que les étoiles.

 

 

 

 ©PG. Paris, avril 2015.

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Disponible en VOD

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